Rencontre avec Thomas et Camille Fort au domaine de Mouscaillo. Une immersion dans le monde de l’agroécologie en compagnie de deux vignerons libre-penseurs engagés.
Il est des rencontres qui bousculent vos pensées et vous ouvrent de nouveaux horizons dans la quête de grands vins et de protection environnementale. Le moment partagé avec Thomas et Camille Fort en fait partie, tant pour l’intelligence du propos que la sincérité de la démarche. Ces deux jeunes vignerons nous rappellent que le choix d’un mode cultural ne peut se résumer à une adoption dogmatique. Le vigneron ne peut pas faire l’économie de sa propre expérience, de sa réflexion et de son cheminement personnel. C’est cette pensée qui conduit le domaine de Mouscaillo à l’agroécologie et à la remise en cause permanente des choix effectués.
Sur les contreforts des Pyrénées, adossé à une falaise calcaire, Roquetaillade est un petit village qui se démarque du reste du Languedoc par sa surprenante fraîcheur. On y trouve un véritable carrefour climatique : les entrées Méditerranéennes, atténuées par les Corbières, se mêlent aux influences Atlantiques, le tout tempéré par la fraîcheur venue des Pyrénées.
Les paysages y sont anciens : les roches calcaires datent de l’Yprésien, soit 54 millions d’années. Témoins d’un ancienne mer, une multitude de fossiles marins aux noms poétiques parsèment ces marnes et ces calcaires : Turritella figolina, Assilina leymerei, Nummulites couizensis, Nummulites exilis Alveolina cucumiformis, Operculina subgranulosa, Turritella trempina, …
Les sols y sont profonds : les argilo-calcaires agissent comme de véritables éponges, retenant l’eau et maintenant une certaine humidité dans le sol. La vigne n’y souffre donc pas de la sécheresse.
Pierre et Marie-Claire Fort sont originaires de Roquetaillade et ont travaillé dans les vignes familiales durant leur jeunesse. Contraints de quitter la région limouxine lors de la crise viticole des années 80, ils travaillent dans d’autres domaines un peu partout en France.
Ils passent notamment plusieurs années dans la vallée de la Loire, où ils s’essaient à la vinification des blancs. En y rencontrant Didier Dagueneau,qui les pousse à revenir à leur terroir d’origine et à reprendre les vignes familiales. C’est en 2004 qu’ils sautent le pas et créent le Domaine de Mouscaillo, à partir de seulement 4 hectares de Chardonnay.
Puis en 2017, Camille et Thomas (la belle-fille et le fils), qui travaillaient alors à l’INRA, décident de plaquer le monde de la recherche en écologie pour revenir sur l’exploitation. Depuis 2020, ceux sont eux qui gèrent le domaine : Pierre et Marie-Claire ont pris leur « retraite » (ils ont déniché une petite vigne à Banyuls, où ils vinifient du Collioure Rouge et Blanc).
Camille et Thomas travaillent aussi avec Frédéric, leur beau-frère, qui était boucher-charcutier dans le Jura. L’histoire de Mouscaillo s’est finalement construite sur de nombreux changements de vie !
Le but recherché par le domaine Mouscaillo est que toute l’expression du terroir de Roquetaillade puisse se retrouver dans les vins. Cela passe en toute évidence par la préservation du terroir, des écosystèmes naturels et agricoles dans le paysage. Le travail s’effectue selon des préceptes d’agroécologie. Faire en sorte que les vignes puissent durer aussi longtemps que possible : respect des courants de sève lors de la taille, complantassions, lutte contre les maladies du bois …
Les études en écologie effectuées par Thomas et Camille les poussent à chercher les meilleurs moyens de préserver l’environnement et le terroir. Tout en ayant des vignes en bonne santé. Pour cela, ils évitent de faire du réductionnisme et essayent d’avoir une approche holistique. Au lieu de chercher une solution unique à un problème, ils tiennent compte de la complexité du système, et travaillent sur une multitude de leviers différents.
L’agroécologie donne ainsi une vision globale qui prend en compte autant les dimensions agricoles, agronomiques, œnologiques, sociales, sanitaires, …
Ne cherchez pas de labels au domaine de Mouscaillo. Le choix a été volontairement fait de ne pas s’enfermer dans des cahiers des charges nationaux voire européens. Ces derniersi ne tiennent pas compte de la diversité des terroirs, ni des caractéristiques qui sont propres à chacun de ces terroirs.
Pour soigner au mieux les vignes et protéger l’environnement, il est nécessaire de se remettre en question systématiquement. Chaque année est différente de la précédente et demande une réflexion nouvelle. Cela passe par la discussion avec d’autres vignerons, et la prise en compte de l’avancée des connaissances issues de la recherche scientifique. De nombreux tests sont effectués, le tout dans le but de ne jamais considérer les pratiques comme acquises.
L’ensemble de ces pratiques sont régulièrement vérifiées par un organisme indépendant, qui délivre la certification Haute Valeur Environnementale (HVE III).
De la dégustation sur fûts des vins en cours d’élevage aux vins en bouteille actuellement commercialisés en passant par quelques vieux millésimes, voici les meilleurs moments de la journée au domaine de Mouscaillo :
Blanquette de Limoux. Assemblage de Chardonnay (70%), Pinot Noir (20%), Chenin (10%). Brut Nature. Élevage sur lattes pendant au minimum 18 mois. Une bien jolie bulle fraîche et minérale qui évoque des notes florales et citronnées. La bulle est fine, la bouche charnue et la tension délicieuse. Parfait pour démarrer l’apéritif.
Harmonia, Crémant de Limoux rosé. Assemblage de Chardonnay et de Pinot Noir. Brut Nature. Vinifié comme un blanc. Une vinosité et un raffinement qui fait l’unanimité. Parfait pour compagner quelques crevettes, du saumon, une tarte aux fruits rouges, des fraises melba, ou une soupe de fraise aux feuilles de menthe.
Limoux blanc 2018. Ce vin s’impose en véritable référence des vins blancs de l’appellation, et même de tout Le Languedoc. Cette cuvée de 98% de chardonnay (complété par une pointe de Chenin et de Mauzac) donne vie à un vin complexe, vif et minéral. La bouche se caractérise par des notes de poire, de mirabelle et de fleurs blanches qui se délient sur une finale saline absolument somptueuse. Taillé pour la longue garde, le vin s’apprécie dès aujourd’hui en offrant une multitude d’accords gastronomiques.
IGP Haute Vallée de l’Aude Pinot Noir 2019. Changement de style au domaine Mouscaillo avec ce Pinot Noir fruité et délicat marqué par des arômes kirschés d’une grande fraîcheur. On oublie la provenance Languedocienne tant la trame est svelte et les tannins raffinés. Un très beau vin qui devrait encore mieux s’exprimer avec quelques années de garde.
Limoux blanc 2004-2011. Le domaine dispose encore de vieux millésimes qui permettent de mieux appréhender cet immense terroir et la capacité des vins à braver le temps. On reste bluffé par la tension préservée de ces vieux millésimes et la complexité aromatique. Une mention spéciale pour le millésime 2004, 2006 et 2008 qui appellent des volailles en sauce, des poissons nobles et des fromages bien affinés.
Ce qui devait être un grignotage collaboratif symbolique a tourné à un magnifique déjeuner concocté par la famille Lefort : omelette aux asperges sauvages, charcuterie, travers de porc sur les braises et quelques fromages pour démontrer, s’il était encore nécessaire de le faire, la très large palette d’accords autour des vins de Limoux du domaine de Mousccaillo. Un grand moment !